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par quelques ombres transparentes, l’éclat trop vif de leur vie. Phœbé comprenait d’ailleurs instinctivement que, devant des malheurs sacrés, toute gaieté vulgaire eût formé un contraste discordant et presque irrévérencieux. Tels ou tels refrains, bons pour accompagner une danse de village, n’avaient pas leur place dans cette symphonie solennelle que la voix d’Hepzibah et celle de son frère exécutaient, pour ainsi dire en sourdine. Mais si les romances étaient plaintives, la voix était jeune et vibrante, l’accent gardait je ne sais quelle secrète allégresse, et maintes pensées joyeuses se dégageaient de la triste mélodie.

À côté de Phœbé, Clifford se sentait rajeunir. Une sorte de beauté, — qui n’avait rien d’absolument réel et qu’un peintre aurait malaisément fixée sur la toile, si même il n’avait tout à fait échoué, — beauté néanmoins qui n’était pas un vain rêve, venait parfois se jouer sur son visage, tout à coup illuminé. Ses cheveux gris, ses rides profondes et compliquées, inscrites sur son front comme le récit hiéroglyphique de ses malheurs, tout cela pour quelques instants disparaissait. Un regard, à la fois pénétrant et tendre, aurait pu retrouver alors dans cet homme, l’ombre de celui que la Providence avait créé, mais que ses pareils s’étaient complu à détruire. En contemplant ensuite les traces de l’âge qui revenaient, comme un crépuscule mélancolique, envahir à nouveau cette figure prédestinée, vous vous sentiez tenté d’argumenter avec le Ciel, et d’affirmer que ce personnage n’aurait pas dû naître mortel, ou que ses qualités eussent dû être assorties à l’existence qu’on mène ici-bas. Aucune nécessité apparente n’exigeait qu’il respirât l’air de ce