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homme pourrait nous amuser, qu’il nous raconterait des petites histoires assez drôles, et voilà qu’il me demande de vous empêcher de vous mêler de mes affaires, quoiqu’il ait dû bien comprendre que rien ne se faisait sans vous dans cette maison. En une soirée comme celle-ci, à la veille d’un cérémonie religieuse si grave, qui exige de ma part un entier recueillement et une complète élévation vers Dieu, il vient me déranger avec une misérable histoire de quelques centaines de couronnes, il me distrait de sonder ma conscience, il me détourne de Dieu et m’oblige à lui déclarer une dernière fois qu’il n’aura rien de moi aujourd’hui. J’entends ne plus lui adresser un seul mot ; cette soirée qui doit être sainte, pour nous, pourrait se gâter. Dites-lui vous-même, Chvéïk : « M. l’aumônier ne vous donnera rien du tout ! »

Chvéïk hurla ces paroles dans l’oreille du créancier, sans que celui-ci bougeât d’une ligne.

— Chvéïk, reprit le feldkurat, demandez-lui combien de temps il compte encore rester ici.

— Tant que je ne serai pas payé.

Le feldkurat se leva, alla à la fenêtre et dit :

— Dans ce cas-là, je le remets entre vos mains. Chvéïk ; faites-en tout ce que vous voulez.

— Suivez-moi, monsieur, s’il vous plaît, ordonna Chvéïk, en empoignant le créancier par l’épaule ; il faut que je vous expulse encore une fois, toutes les bonnes choses sont au nombre de trois.

D’un geste rapide et élégant, il répéta son tour de force de tout à l’heure, tandis que le feldkurat tambourinait de ses doigts sur la vitre une marche funèbre.