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millions d’anciens agriculteurs, de race et de langue française, peuplent les fabriques et les filatures de la Nouvelle-Angleterre, où ils perdent insensiblement et fatalement leur parler, leurs croyances, leur tempérament, jusqu’au souvenir de l’ancienne patrie ; nombre d’entre eux, rougissant de leur origine, défigurent leur nom, deviennent polichinelles ou mardi-gras, pour effacer de leur être le sceau qu’y a incrusté une hérédité de plusieurs siècles.

« Le sentiment patriotique ne se rencontre guère parmi les Franco-Canadiens. Ils conçoivent difficilement qu’on puisse sacrifier sa vie, son repos, sa famille même, pour cette chose sacrée qu’on appelle le pays natal. L’hymne national ne vibre pas, chez nous, comme « La Marseillaise », en France, et quand nos foules entonnent « Ô Canada ! », les notes n’éclatent pas, elles ratent comme des fusées sans poudre, elles traînent dans un souffle de tiédeur, au lieu de rugir dans des poitrines embrasées ; nous ne sentons pas, à l’entendre, le grand frisson surhumain que communiquent les émotions populaires. Un jour, après une cérémonie patriotique, l’orchestre fit résonner l’hymne national canadien : sur trois mille personnes, dix se levèrent.

« La servilité est le tombeau du patriotisme. »