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résume tout et qui ne laisse rien debout dans le cœur qu’elle-même. L’unique, jusqu’ici, c’est toi ! »

Claire était troublée par cet aveu soudain d’un amour qui s’ignore. Un moment, elle ouvrit la bouche pour parler. Les mots se pétrifièrent sur sa langue, comme dans les cauchemars où l’on voudrait lancer de grands cris sauveurs et où les sons se durcissent dans la gorge. Elle parvint à dire d’une voix blanche : « Viens ! Il est temps de nous rendre au dîner des Bernache. »

Les Bernache appartenaient à l’ancienne bourgeoisie de Petitmont. Le chef de la famille était un avocat de renom, qui s’était installé à Valmont dès les débuts de l’entreprise et qui avait profité de l’agrandissement inespéré de cette ville. Il s’était enrichi rapidement, et, sur son déclin, il avait des démangeaisons d’amour-propre. Ce soir-là, il donnait dîner et bal à l’occasion de l’entrée dans le monde de sa fille Pauline, âgée de dix-huit ans. Les principaux citoyens des deux villes y avaient été conviés, en sorte que les mentalités les plus diverses et les factions les plus opposées y étaient représentées.

Les Petimontais étaient des réactionnaires. L’idée nouvelle les effrayait. Ils avaient une