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fut de lui donner son art enfantin, ses gambades, ses cris langoureux de bête en rut.

Les couples tournaient dans des rayons colorés que lançaient sur eux des réflecteurs puissants. Dans les remous des danseurs, la lumière faisait une mosaïque de nuances. Le rouge de l’amour ondulait avec la foule comme une vague de feu. Puis le bleu, un bleu de clair de lune, versait l’ivresse d’un rêve de demi-nuit. Brusquement, un vert cru, une pluie livide. Les visages alanguis faisaient des reflets de cadavres de saints en extase, tandis que les rieurs montraient des grimaces méphistophéliques. Les faces de l’amour et de la mort, toujours inséparables, passaient devant mes yeux.

Chacun revenait à sa table pour le souper de minuit et demi. Des Américaines et des Américains, déjà gris, faisaient sauter à grand bruit les bouchons des bouteilles de champagne. Quand ça ne pétait pas assez à leur gré, ils complétaient le concert avec leur bouche. On entendait un peu partout : « Champéégne ! Champéégne ! » Les gens ne savaient pas boire. Ils ne dégustaient pas, ils ingurgitaient. Un grand paillasse bostonnais monta sur une table, au milieu des plats — affaire d’habitude — débita un inintelligible réquisitoire contre l’abus des boissons fortes et hurla : « Hurrah for prohibition ! » illustrant la théorie par l’exemple, il absorba une dernière rasade et croula en bas de la table, au milieu des argenteries et des porcelaines cassées.