Page:Harvey - Les demi-civilisés, 1934.djvu/97

Cette page a été validée par deux contributeurs.
93
les demi-civilisés

très âgé, mais balafré par les durs travaux des bois et les fatigues du trappeur. Il se nommait Girardin. Comme je le félicitais du succès de ses bêtes, il me répondit, un peu gris :

— Je les aime, mes chiens, moi, vous savez. Ils m’aiment aussi. C’est pour ça que je gagne. Un cri du « boss » et ça leur met le feu au derrière. Tenez ! J’attelle d’abord mes six mâles, et, devant, je fais courir ma chienne, Nelly. Je dis : « En avant, arche ! » Et un bon coup de collier ! Le diable les emporte. Les mâles aiment courir après une femelle. Nelly ne leur donne pas de chance. Elle tire mieux qu’un cheval. De temps en temps, la langue pendante, les crocs sortis, elle se retourne, comme si elle riait des chiens. Puis elle repart au trot : venez les dogues, rattrapez-moi !

Je mène ça tout l’hiver dans la forêt. Ça me connaît, allez ! Si vous voyiez les portages maudits que font ces chiens-là dans une journée ! C’est incroyable. Je ne les emmène pas tous ensemble, mais deux à la fois. Nelly vient presque toujours. Sans elle, je serais mort depuis longtemps. Un jour que, pour couper au plus court, je traversais le lac des Vases, dans le haut de Saint-Raymond, voilà qu’une grande masse de neige cède sous le traîneau. Je me sens enfoncer dans une mare qui n’avait pas moins de quinze pieds de creux. C’était un trou d’eau chaude, où il ne se fait pas de glace. Je crie à me briser le gosier : « Nelly ! Arche ! » Quel cri ! On a dû l’entendre à trois milles de là. Nelly a compris. Un