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souffrances et vos gloires. » Le reste était à l’avenant. On eût dit que tous les pompiers du monde s’étaient réunis, lance au poing, pour arroser et délayer ce style national. À la fin du dernier chapitre, on concluait par la citation de la première strophe de l’« Ô Canada » dont les vers, dus à l’inspiration du juge Routier, m’ont parfois semblé d’une banale solennité.

J’exécutai consciencieusement l’auteur et son livre. « On mettrait, disais-je, toutes les idées de M. Gratton dans le fond d’un à coudre qu’il y resterait encore place pour le doigt. Quant au style, il serait excellent si l’auteur avait appris à écrire en français et s’il possédait, quelque part sur sa personne, une chose essentielle que donne le tempérament. Tel qu’il est, ce style est celui d’un eunuque. »

Une polémique s’engagea. Les journaux bien pensants me prirent violemment à partie. Une revue universitaire m’abreuva d’injures et m’intima l’ordre, sous les pires menaces, de dire ce que j’entendais par eunuque. Je répondis de mon mieux, donnant les définitions que je connaissais, expliquant que j’admirais sans réserve la courageuse virilité de l’auteur. Je savais que celui-ci, tout difforme et repoussant qu’il fût physiquement, se vantait à tout venant de ses bonnes fortunes.

Il est, hélas ! des êtres qui ne souffrent pas l’ironie. Habitué à l’encens, Nicéphore reçut les critiques comme autant de coups de massue. Il en fut terrassé. Il