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les demi-civilisés

Depuis des années, la critique avait consacré son apostolat. On ne pouvait parler de lui, dans les journaux, sans employer les épithètes de « talentueux », « génial », « fécond », « puissant », « irrésistible ». Il avait su démontrer en cinq volumes de trois cents pages chacun que les bons sont récompensés même en ce monde et que les méchants sont punis. Ce traité lui avait valu la médaille du lieutenant-gouverneur. Ses divers poèmes sur « Le pont de chez nous », en trois cents vers de douze pieds, sur « Le Sapin de la maison grise », en trois sonnets successifs, et sur le « Caquetage des poules paternelles » l’avaient fait élire prince des poètes, titre qu’il portait d’ailleurs modestement. Deux de ses romans, « Le retour à la terre » et « L’Enfer des villes tentaculaires » lui avaient rapporté chacun, à trois années de distance, mille dollars en prix du gouvernement. Il était une gloire panthéonisable. Des amis se chargèrent même de porter sa renommée au sein de l’Académie française, qui, sous la signature de M. René Doumic, couronna son œuvre.

Son dernier ouvrage, « Histoire romancée de Sainte-Rose-du-Dégélé », me tomba, par hasard, sous la main. Pour la première fois j’avais l’honneur d’apprécier le prodigieux Nicéphore. Le livre commençait par une invocation aux esprits des ancêtres : « Âmes de nos aïeux, enterrées pour l’éternité dans le sol que vous arrosiez de vos saintes sueurs, inspirez les accents d’un fils reconnaissant qui veut immortaliser vos travaux, vos