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les demi-civilisés

me puisse donner la pleine et entière conscience de mon existence, de ma force et de ma beauté… oui, de la beauté que je voudrais avoir.

— Petit fat ! Votre personnalité ! Êtes-vous sûr d’en avoir une ? Vous ne répondez pas ? Eh ! bien oui, vous en avez une, malgré votre jeunesse. Mais quel orgueil dans tout ceci ! Vous vous aimez comme si vous étiez votre propre maîtresse. Vous faites du narcissisme. Ne protestez pas, vous êtes très content de vous.

— Vous l’avez dit, je suis content de moi… quand je me compare…

— Vous avez raison, allez. On m’a dit beaucoup de bien de vous. Et puis, cette confiance en vous-même vous donnera du succès auprès des femmes.

Un coup d’éperon, un virement brusque du cheval, et voilà Dorothée partie sans me donner le temps d’ajouter un mot.

— Pourvu, me dis-je, qu’elle n’aille pas me ranger dans la collection des m’as-tu vu.

Elle fit le tour du parc, splendide, traça un cercle entier et revint passer devant moi en galopant. Elle me lança cette phrase à la volée :

— Je vous en trouverai, moi, un moyen de développer votre personnalité.

Je me contentai de rire assez haut pour être entendu d’elle. Je pensais qu’elle badinait ou se moquait de moi.

Mais ses dernières paroles me frappaient l’âme comme des battants de cloche.