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les demi-civilisés

accueillante et moins belle, tant il est vrai que les choses prennent la couleur de nos contrariétés.

Un soleil soporifique, indiscret et brutal me fouillait le fond des yeux avec des rayons lourds comme des doigts de plomb. Pour m’en protéger, je m’affalai sur un banc, à l’ombre d’un érable.

Je levai mon regard vers le feuillage, et il me sembla que cette masse de verdure buvait la lumière comme une éponge et qu’il eût suffi de la presser des deux mains pour en faire pleuvoir sur mes épaules des gouttes de soleil.

Bientôt, l’arbre subit, à mes yeux, une étrange métamorphose. Toute cette matière végétale se disloqua et s’ordonna comme à travers un kaléidoscope. Le tronc sur lequel je m’adossais cessa d’être mon appui pour devenir un boulevard où passait du monde ; chaque branche se transforma en sentier, en rue, en ruelle, puis, les feuilles se groupèrent en un bloc énorme pour composer une ville étendue jusqu’au bord de l’horizon.

Je me trouvai comme perdu dans cette vision fantastique. Quelques arpents seulement me séparaient de la ville magique. Je me levai et marchai droit vers les pâtés de maisons alignées le long de la chaussée.

Une porte basse, à laquelle je me butai, s’ouvrit pour me livrer passage et se referma d’elle-même.

À deux pas de là, une affiche flamboyante portait ces mots :