Page:Harvey - Les demi-civilisés, 1934.djvu/214

Cette page a été validée par deux contributeurs.
210
les demi-civilisés

Bouvier se prit la tête dans les deux mains :

— Ah ! chienne de vie ! Chienne de vie !

Je me demandais si je ne devais pas étrangler cette bête infecte, qui m’avait enlevé ma joie de vivre et avait moralement tué Dorothée.

— C’est donc vous qui avez avancé la mort de Meunier ? dis-je durement.

— Je le crois. Une fois dégrisé, je me rendis compte de l’énormité de ma conduite. Dès le lendemain matin, je me repentis d’avoir fait chanter mon vieil ami. J’allai lui présenter mes excuses. Il était dans un état d’abattement facile à concevoir.

— Bouvier, dit-il doucement, tu m’as fait mal. Je crois que je ne reviendrai pas de ce coup. Mais c’est surtout Mathée que tu as frappée. Elle a sangloté toute la nuit. De bonne heure, ce matin, elle a écrit à Max qu’elle ne voulait plus le revoir. Elle l’aimait beaucoup, plus même que son père.

— Je t’en supplie, Luc, oublie ce que je t’ai dit. J’étais complètement saoul. L’histoire que je t’ai racontée, je l’ai supposée. Je n’en crois rien. Quand la chose est arrivée, en mer, je dormais, tu le sais bien. Quand j’ai bu, mon imagination se fabrique un tas d’abominations. Dis que tu me crois, dis-le donc !

— Ce qui est dit est dit. Il est, dans la vie… des actes, des paroles, des pensées même, que rien ne répare.

Un silence plein d’angoisse se mit entre Meunier et moi. On dirait par moments que le silence est un té-