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les demi-civilisés

l’avait trouvé inanimé dans sa chambre à coucher. Seul pour faire le passage définitif, il s’était efforcé d’appeler du secours. Tout le monde dormait autour de lui. Il avait cherché à atteindre sa porte pour être entendu et sentir enfin la présence de quelqu’un. Il s’était effondré sur le parquet, face contre terre.

Riche, estimé, comblé d’honneurs, placé par sa fortune, après des débuts modestes et malgré une origine obscure, dans la meilleure société de la vieille capitale, il avait vécu misérablement. Il n’avait jamais pu effacer de ses mains la tache de sang. Le secret hallucinant le suivait partout et se confondait avec son ombre. La peur s’y mêlait, une peur d’autant plus tenace et angoissante — l’angoisse, mère de l’angine — qu’il avait raison de croire en l’existence d’un témoin de son passé d’ancien contrebandier.

Pendant qu’on portait son corps en terre et que les journaux regorgeaient de notes biographiques exaltant ses vertus civiques, un homme, derrière le corbillard, reconstituait, dans son imagination, une scène qui, des années auparavant, l’avait rempli d’horreur. C’était Thomas Bouvier.

Une semaine à peine s’était écoulée depuis l’inhumation, que je recevais chez moi, vers minuit, un appel téléphonique.

— Allô ! Allô ! C’est Bouvier à l’appareil.

Quoi ! me disais-je, cet homme à qui je n’ai pas pardonné sa goujaterie du Château et que je fuyais comme