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les demi-civilisés

subconscient, et j’entendis distinctement deux voix différentes qui résonnaient dans mon âme agitée :

— Montgomery, racontait l’une d’elles, s’avançait au pied du cap avec sept cents hommes. Mais les fidèles sujets du roi veillaient et gardaient le poste. Au moment où passait le chef ennemi, Chabot, qui commandait une batterie de cinq canons, fit feu et tua Montgomery. Grâce à un petit boulet de rien du tout, le Canada n’est pas perdu dans le creuset américain.

— Ceci me rappelle une histoire, répondait l’autre voix. Il y avait une fois un pauvre diable qu’on avait arraché à son foyer pour le transporter dans une famille étrangère, où on l’avait forcé à changer de nom et à servir. Mis au courant de cette injustice, des amis plus riches et plus puissants que lui vinrent cerner la maison du ravisseur, et, ayant pénétré jusqu’à la victime du rapt, lui dirent : « Viens avec nous et reprends ta liberté. » Le prisonnier leur répondit : « Hors d’ici, tentateurs ! Il est vrai que je ne suis pas libre et que j’exerce ici le métier de laveur de vaisselle, de nettoyeur d’écuries et de porteur de poubelles, mais ma condition pourrait être pire. Non content de me laisser vivre, on me nourrit, on me loge, on me soigne. Je serais le dernier des ingrats si j’abandonnais de si bons maîtres. »

— Votre histoire est intéressante, mais à quoi voulez-vous en venir ?

— Il n’est pas naturel de tuer ceux qui nous apportent la liberté. À l’époque où la jeune Amérique recevait