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les demi-civilisés

pas un brin d’herbe n’égayait le flanc des monts, on cherchait la vie dans l’invisible.

Je me souviens de certaine nuit de Noël où l’air était si net, le sol si blanc, la voix des cloches si forte et claire, qu’on avait l’impression d’une terre légère, fluide, composée uniquement de toutes les pensées du monde, et, à travers les espaces, les étoiles bleues semblaient vibrer avec la flèche de l’église, comme sous la baguette d’un chef d’orchestre ; car chaque note des cloches retombait du ciel ainsi que le son d’un astre de métal. Des nuits comme celle-là entraînaient mon âme d’enfant au seuil de l’infini.

Un dimanche, au sortir de l’église, une vieille femme, très douce et très bonne, comme le sont toutes les vieilles de ce pays, dit à ma mère qui m’accompagnait : « Max entend si bien la messe qu’il deviendra prêtre. » Ma mère sourit. C’était son désir secret que je fusse curé et soutien de ses vieux jours. Veuve depuis plusieurs années, pauvre, courageuse, elle travaillait ferme pour moi et consacrait à mon éducation toutes ses maigres ressources. Marchant à ses côtés, je me répétais sans cesse : « Je serai prêtre ! je serai prêtre ! » Des années durant, cette pensée me poursuivit au point de m’halluciner.

Je me croyais forcé par la fatalité d’entrer dans le sacerdoce. Je n’avais que dix ans, et il m’arrivait de regarder avec une complaisance pleine de remords les belles filles des paysans, dont les jambes, arrondies et