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les demi-civilisés

nais pas cette souffrance. Et vous tous qui m’écoutez, pourquoi ces mines scandalisées ? Vous êtes prêts à voler en douce la femme de votre ami, mais vous n’auriez ni la force ni le courage de vous signaler par un beau viol.

— Il est complètement saoul ! siffla Michelle Vivier en une moue de dégoût.

— Michelle, hurla Dumont, vous n’êtes qu’une poule de luxe et vous ne valez rien.

L’amie de Pinon avait pourtant souffert. Prise à seize ans par un bélître, elle avait dû épouser son séducteur pour éviter le déshonneur. Son mari, ivrogne, adultère, déclassé, superstitieux, jaloux et sale, avait fait le désespoir de tous les patrons qu’on lui avait trouvés. De guerre lasse, on l’avait envoyé, avec sa jeune femme, dans un camp de bûcherons, en pleine forêt, où Michelle se trouva, à la fin de sa première grossesse, au milieu d’une bande de forestiers qui passaient leur loisirs à jouer aux cartes, sacrer, conter des grivoiseries et fumer du tabac sentant le fumier de porc. Elle avait habité un camp de bois rond dont le toit faisait eau, et, à la fonte des neiges, quand elle nourrissait son nouveau-né, de larges gouttes d’eau grise tombaient dans sa chevelure blonde. Elle avait enduré ainsi quatre années, après quoi, sentant le besoin de vivre, elle avait secoué le joug.

— Je connais une femme qui en a mangé plus que vous, de la vache enragée, poursuivit Dumont. Il y a trois ans, je rencontrais, par hasard, une jeune campa-