Page:Harvey - Les demi-civilisés, 1934.djvu/118

Cette page a été validée par deux contributeurs.
114
les demi-civilisés

une joie du dénuement comme du faste. Ils ne connaissent pas la mesquinerie, l’absolutisme et l’agaçante précision de principes des petites natures. Ils sont humains, et, pour être humain, il faut être très civilisé. Mais Hermann était un fruit trop mûr de la civilisation. Il en avait les vices aussi bien que les qualités. La plus grande saveur de la pomme fameuse est tout proche de la pourriture qui va commencer. Il en était ainsi de cet étranger qui venait de me quitter. Il n’était capable d’aucun enthousiasme, d’aucun emballement, d’aucun idéal. Tout au plus un culte très vif pour la beauté et une passion froide à jouer avec des idées comme on joue au ballon. La vie n’était plus pour lui, qu’un sport, un excitant. Le sentiment bien net qu’il avait de la précarité de l’existence, de l’incertitude du lendemain et de la nécessité de jouir de la minute présente, de peur que la mort ne prît la minute prochaine, l’empêchait même d’agir en vue de l’incertain et inexistant avenir. Et il perdait ainsi son merveilleux talent. Il était un trop-civilisé, mais combien séduisant !

Le bonheur tranquille et la civilisation complète et ferme, je les trouvais plutôt chez mon autre collaborateur, Lucien Joly, marié à une femme intelligente et belle, père de trois charmants enfants qu’il adorait.

Pas bourgeois du tout, Joly. Par la haute taille et les larges épaules, un peu voûtées, presque paysannes, son physique imposait. Ses grands yeux bleus étaient