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les demi-civilisés

tait le pactole avec sincérité. Ce sauveur mourut dans mes bras, sur un grabat de camp forestier, où la pneumonie le rongea pendant cinq jours. Trop pauvre pour revenir tout de suite vers la civilisation, je me louai, à cinquante sous par jour, comme bûcheron. Je ne pouvais abattre un arbre en moins d’une demi-journée, et on me nomma marmiton. C’est là que j’appris à peler des pommes de terre. Ce n’est que le printemps dernier que je suis sorti du bois, sale, déguenillé, maigri, sans le sou, et, chose phénoménale, très gai. L’aventure m’avait amusé ; je la trouvais formidable. Je me sentais aussi heureux que Candide. Épouvanté, éperdu, interdit, tout sanglant, tout palpitant, je me disais toujours à moi-même : « C’est ici le meilleur des mondes possibles. »

Il avait conté toute son histoire et attendait une réponse. Après cinq minutes de silence, pour me donner le temps de réfléchir, je lui dis :

— Candide, vous entrerez, dès demain, au service du « Vingtième Siècle ». Vous y trouverez peut-être le meilleur des mondes.

Il me serra la main avec effusion et s’éloigna.

Ce grand viveur à physionomie si bonne, si sympathique, et il faut bien le dire, si fatiguée, fallait-il l’envier ou le plaindre ? Chez ces bohèmes de carrière, pensais-je, la philosophie est d’une telle douceur, la compréhension des choses a tant d’étendue et de profondeur, la tolérance est si complète, qu’ils parviennent à se faire