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les demi-civilisés

vais envie de rugir pour chasser toutes ces pensées crucifiantes.

Très las, j’eus recours à un somnifère. Mes divagations nocturnes m’apportèrent une vision d’une cruauté inouïe.

Je m’étais égaré dans une forêt noire.

Un homme marchait à mes côtés, un homme grand, osseux, maigre, drapé dans une robe lourde comme une chape d’acier. Il ressemblait à Bouvier. Sa figure, hormis ses yeux, des yeux immenses et violets, était à peine visible.

Comme il était méchant et dur, il avait composé des plaisirs barbares, mais d’une tragique beauté.

Magnétisé par son regard hallucinant, je le suivais, et je savais qu’il me conduirait vers des spectacles d’une grandeur morbide.

Par un sentier bordé d’iris et d’orchidées, l’homme sinistre me mena au bord d’un lac très clair et très bleu.

De l’autre côté parurent des enfants, de tout petits enfants au teint pâle, qui marchèrent jusqu’au rivage et se rangèrent en une attitude de condamnés. Dans leurs frêles mains bleues, ils tenaient des glaïeuls.

Sur un signe de mon compagnon, ils entrèrent dans l’eau, doucement, doucement.

Leur figure était aussi belle que douloureuse, leurs yeux, exorbitants et mauves.