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« La guerre d’idées et de systèmes que se font aujourd’hui deux mondes provient de la nécessité du changement dans tout organisme vivant. C’est un fait biologique. Comme les individus, les sociétés naissent, vivent et meurent. Il en est ainsi de notre démocratie libérale. Si elle ne répond plus aux besoins de l’époque, elle doit s’effacer devant un autre régime. »

Je concède la valeur de cet argument. Tout change, tout doit changer. Avant d’aller plus loin, je nie qu’il faille tuer toutes les libertés individuelles pour marquer un progrès. Je nie également que les institutions démocratiques, telles que nous les avons connues depuis un siècle, aient été statiques. Quand on fait de bonne foi la comparaison du présent au passé, on constate au contraire qu’une révolution pacifique s’est produite chez les peuples qui y furent soumis.

Oui, certes, tout se transforme. Il faut savoir combien de temps il a fallu aux premiers hommes pour former un langage articulé, apprendre à se servir du feu dans la cuisson des aliments, fondre et marteler les métaux, grouper les familles nomades en sociétés organisées, formuler des lois, répandre la parole écrite, remplacer la barque et la voile par le bateau à vapeur, substituer le télégraphe au sémaphore et la radio au concert familial de piano, former une civilisation où la loi du talion devint la loi d’amour, donner sans espoir de retour et recevoir en disant merci, il faut savoir, dis-je, combien de siècles, combien de millénaires se sont écoulés entre chaque étape, pour mesurer le chemin parcouru et admettre l’impossibilité du repos chez l’animal raisonnable. La mort seule est le repos, et c’est une petite phrase bien profonde que celle que l’on grave sur les pierres tombales : Requiescat in pace. Le repos total n’a jamais rien produit. Quand, dans le langage courant, on dit d’un individu très actif qu’il se repose, on n’a pas le terme propre : il ne se repose pas, il récupère.

Il est donc aussi vain de penser qu’il ne faut rien changer aux conditions existantes, qu’il est dangereux de vouloir détruire tout le passé et tout le présent sous prétexte de progrès. La nature est violentée aussi bien par les réaction-

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