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nora l’énigmatique

Enrico. Plus tard, j’ai su qu’elle ne connaissait de lui qu’une biographie idéalisée. Ça n’avait pas d’importance : ce n’était pas tel ou tel fait qui l’enflammait, mais l’image qu’elle s’en faisait, ou plutôt le héros que lui présentait son imagination de passionnée. Imagines-tu les perspectives que font miroiter aux yeux des petits Italiens, par ricochet, les destins merveilleux de nos grands artistes ? Ça ne devait pas manquer pour moi, d’autant plus que j’avais une belle voix : tout le monde me le disait.

— Tu chantes ? l’interrompit Édouard.

— Je ne peux plus… Mais, attends !

À mesure que je vieillissais ma voix s’affirmait de plus en plus. Par bonheur, mon père avait un tempérament d’artiste, bien que d’humble condition. Il aimait la musique et en faisait avec les moyens à sa disposition. Fier de mon talent, il s’efforçait de le cultiver. Je chantais à l’église et je pris des leçons d’un musicien du crû, qui ne pouvait me mener bien loin, mais qui m’a donné de solides principes de base. De là, je m’élançais, par la pensée, dans la carrière la plus brillante. Mon amie, la parente de Caruso, m’admirait avec ferveur. Elle me voyait déjà grande cantatrice et attisait les feux de mon imagination. De son côté, mon pauvre papa ne voyait aucune borne à la célébrité qui m’était promise. Tout ce qu’il avait envié pour lui-même, tout ce qu’il aurait aimé à être, sans jamais croire un instant à ces possibilités, il l’entrevoyait pour moi. Je devais être sa réalisation. On faisait de beaux projets. J’irais à Naples, étudier avec des professeurs renommés. Comme il est arrivé dans le cas de tant de nos grands chanteurs, un artiste célèbre me remarquerait et me protégerait. L’avenir ne nous présentait aucune difficulté.