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vérité ? J’arrive derrière vous et je vous entends dire : « Mangez, chers oiseaux ! » Et vous avez été faire le paresseux chez le maître d’école, avant de venir ici, n’est-ce pas, hein ?… C’est ainsi que vous gagnez vos six pence par jour pour écarter les oiseaux de mon blé ?

Tout en cornant aux oreilles de Jude ce discours indigné, Troutham avait saisi la main gauche de l’enfant dans la sienne, et balançant Jude au bout de son bras, il le fit tourner autour de lui en le frappant avec le plat de la crécelle, jusqu’à ce que l’écho du champ retentit du bruit des coups, distribués deux ou trois fois à chaque révolution.

— Ne me battez pas, monsieur, je vous en prie, ne me battez pas… Je… je… monsieur… je voulais dire qu’il y avait beaucoup de grain — je l’ai vu semer — et que les oiseaux pouvaient en prendre un peu pour leur repas et que ça ne vous ferait pas de tort, monsieur, et M. Phillotson, dit qu’il faut être bon pour eux. Oh !… Oh !… Oh !…

Cette explication sincère parut exaspérer le fermier, plus que ne l’eût fait une protestation. Il continua de balancer Jude et de faire résonner la claquette dont le bruit parvenait jusqu’aux travailleurs éloignés qui croyaient Jude assidûment occupé à sa besogne, et jusqu’à la nouvelle église pour laquelle le fermier avait largement souscrit en témoignage de l’amour qu’il portait à Dieu et aux hommes.

Quand il en eut assez de cette besogne, Troutham remit l’enfant tremblant sur ses jambes, prit six pence dans sa poche et les lui donna comme salaire en lui disant de retourner à la maison et de ne jamais reparaître devant ses yeux ni dans son champ.