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LES SABOTS DE NOËL

côtes, et que tout mon poids était pendu à ma mâchoire : j’ai même eu la langue toute déchirée, mais, c’est bien de ma faute, parce que, dans la douleur, je n’avais pas eu soin de la garer, et elle était prise dans le mors.

Après ça, j’ai attendu, par terre : il y avait beaucoup de monde, autour de moi, et j’étouffais un peu ; les uns me plaignaient, les autres s’amusaient, et c’était une espèce de petite fête où des grandes personnes poussaient des petits cris, à cause de l’habitude que les hommes ont de chatouiller les femmes sitôt qu’on est un peu serré.

À la fin, on a amené une charrette, et on m’a hissé dessus. J’ai dit adieu à ma pauvre vieille voiture, que je laissais là, et que je ne reverrais plus. On s’est mis en route ; un camarade me traînait, la tête basse, en réfléchissant, et il me faisait envie, et moi aussi je réfléchissais, et je me rappelais, et je suis arrivé à la maison où on meurt.

Je l’ai reconnue tout de suite : le sang et la mort ont une odeur que nous connaissons