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LA BOMBE

Le roi en péril et mon métier à faire, je m’en souciais, vous devinez comme ! J’étais fou. Je me souviens que je me suis jeté sur elles, et que je hurlais. Mais dans le désarroi général, on n’a pas pris garde au mien. Pourtant, le préfet, en passant, me vit ; il crut que je relevais des blessés ; il me cria :

— Pas ça, vous ! Aux maisons ! Cernez les maisons !

Ce mot-là m’a rendu ma tête, en me rappelant au devoir. Pas le devoir professionnel, hein ? Non ! Celui de venger mes mortes, de trouver le bandit qui me les avait tuées, de le leur apporter, à elles, rien qu’à elles, et de le leur saigner en holocauste, pour elles toutes seules ! Mon devoir d’amour et de vengeance, quoi !

Alors… C’est ici qu’il faut bien m’écouter, si vous voulez comprendre. Il y a de grandes minutes, dans la vie, et c’est dans ces minutes-là qu’on reconnaît les hommes : les uns sont démolis par la secousse, et les autres, au contraire, sentent leurs forces exaspérées, décuplées : le talent qu’ils ont devient du génie. Lorsque la bande des nigauds voit tout perdu, et qu’en effet tout est perdu, ceux-là