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LE PRISONNIER DE SON ŒUVRE

cette conviction s’affermissait tous les jours.

Vous pensez bien que Berthe n’ignorait rien de mes soupçons : un caractère tel que le mien ne dissimule pas, il n’en est pas capable, et je n’essayais même pas de donner le change ; ce que je pense se lit sur mon visage : elle se savait épiée, et elle s’en égayait comme du reste. Mon inquiétude, mes regards scrutateurs, mes brusques rentrées à la maison, mes silences, les interrogatoires qui me faisaient battre le cœur et qui me rendaient pâle, si pâle que je me sentais blêmir, tout cela constituait un avertissement perpétuel, mais elle l’accueillait comme un jeu.

— Tu m’attraperas pas, Nicolas…

Un jeu nouveau, qui plaît parce qu’il est nouveau ! Elle jouait son jeu d’enfant ; je jouais ma tragédie d’homme. Elle n’a pas compris le danger, ou du moins elle n’en a compris que tout juste ce qu’il fallait pour animer la partie. Que l’enjeu fût de vie et de mort, Berthe ne s’en doutait pas, car elle n’a jamais eu peur, jamais elle n’a sourcillé quand je la regardais dans les prunelles.

Que de fois j’ai fouillé le fond de ses yeux,