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Desreynes comprit que la nature, pour ce malade, vaudrait mieux que sa présence tour à tour irritante et calmante ; pendant de longues heures, chaque jour, il quittait son ami, sous prétexte de pêcheries, et Pierre s’en allait dans la grotte préférée, qui, là-bas, s’enfonce sous la falaise, et regarde l’Océan vers le sud.

Il y demeurait d’entières après-midi, s’abîmant dans la contemplation de la mer toujours nouvelle, qui changeait ses couleurs et se diamantait sous le soleil tournant. Il suivait, dans leur glissement lointain, les barques brunes à voiles rousses qui filaient sur de la lumière ; il choisissait un peu au large des vagues qui venaient vers lui, et les accompagnait du regard jusqu’à ce qu’elles fussent brisées parmi les roches ; il se créait, chez les pierres et les bêtes du rivage, des sociétés bienveillantes ; il parlait aux alouettes de la lande et aux crabes de l’herbier ; il cherchait sans le savoir à aimer et se faire aimer.

Quand le soleil se couchait, le soir, sur les dunes de Locmariaker, une émotion si profonde le travaillait, que des larmes vinrent souvent mouiller ses yeux ; Georges était avec lui, dans ces instants, car le crépuscule s’allumait à l’heure du repas. La sérénité morale que donne le culte du beau, alors, les rendait tout heureux d’être ensemble ; les souvenirs cruels s’effaçaient, pour quelque quart d’heure du moins, et une joie d’amitié qui ressemblait à de l’amour dilatait leurs deux pauvres cœurs. Rien, plus que la nature,