Page:Haraucourt - Amis, 1887.djvu/319

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ils restèrent ensemble. Georges, par sa présence, n’exerçait pas sur Arsemar l’irritation qu’il eût pu craindre ; il la calmait, au contraire, et Pierre éprouvait devant lui moins de jalousie que sans lui ; la vue de l’ami faisait oublier l’amant : impression curieuse et complexe qui d’un seul être en faisait deux, divisait une entité, dédoublait un passé, et sans effort, sans intention même, parvenait à séparer le coupable du compagnon, et à supprimer celui-là pour ne garder que celui-ci. Il semblait à Pierre que ce n’était pas lui, mais un autre lui, portant ses traits, son nom, son corps, qui serait lui, mais n’était pas lui. Simplement, parce qu’il sentait bien que l’âme n’avait nullement participé au crime de la chair, et ce qu’il aimait, c’était l’âme. Ainsi, son mysticisme, opérant de pur instinct sur un problème où se sont usées tant de métaphysiques, constatait comme une chose tangible la dualité de notre essence matérielle et morale : privilège des natures affinées, pour qui se dévoilent naïvement les mystères abstraits que la foule ne peut envisager sans un vertige.

Le malheureux retomba bientôt dans son mutisme désolé.

Toutes les attentions que Georges déploya pour le distraire n’obtinrent que la reconnaissance d’un pénible sourire, aussitôt effacé, et qui disait : « Je comprends bien, je te remercie, mais je ne peux pas. »

— Ami, partirons-nous ? Veux-tu toujours ?

— Oui.