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où il devait la rejoindre, elle ! Il partait ! Jeanne l’appela. L’aimait-elle donc, cet homme, pour qu’elle jetât son nom comme un cri de détresse, avec la gorge aride, et dans l’effroi qu’il ne voulût pas revenir ? Elle attendait : elle le vit se retourner, hésiter, et prendre le sentier qui conduisait vers elle. Un mauvais soupir de bonheur souleva sa poitrine. « Ah ! je te dompterai ! » Sa pleine force lui revint : amour ou haine, espoir tendre ou désir cruel ? Tout ensemble peut-être, mais qu’importait, pourvu qu’elle soumît cette tête. Elle pénétra dans le bois et s’assit sur le banc où trente jours plus tôt elle avait une fois pleuré…

Georges arriva, et resta debout : il était décidé à une réserve glaciale. Jeanne, devant cette attitude, eut une crispation de tous ses nerfs ; il lui sembla n’avoir jamais ressenti tant de haine contre un seul homme : elle se vit résolue à tout.

Desreynes parla le premier : elle l’interrompit.

— Asseyez-vous !

Il exprima son regret, non point de ce qu’il avait pu faire, mais de ce qu’il avait occasionné ; il déclara nettement que tant de sévérité devenait inconvenant, et tant de courroux déplacé ; qu’il avait, pour sa part, présenté à cette fille les excuses qu’elle méritait de lui.

Jeanne l’écoutait rageusement ; l’insolence de ce visage impassible, la simplicité de ces phrases, cette hauteur fustigeaient sa colère impuissante ; elle n’osait regarder Georges, dans la crainte de ne pas rester maîtresse d’elle-même : elle aurait voulu lui