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avait commencé à l’aimer à cause de la vie misérable qu’il lui devinait, et son premier attachement était né d’une causerie intime un peu semblable à celle-ci ; la famille était trop heureuse de se délivrer d’une fille, mais on avait exigé que le prétendu reprît son titre de noblesse et son blason !

Elle fit l’éloge des qualités de Pierre ; elle les voyait toutes, mais quelque chose la glaçait, peut-être tant d’amour.

Jeanne s’exprimait lentement, et les phrases irréfléchies venaient sans étude à sa bouche. Elle ne songea même pas un instant à s’étonner devant un si complet abandon d’elle-même. Quoi donc l’avait séduite ainsi et poussée à tant de confessions ? Elle ne cherchait pas à le savoir. Elle tenait une des mains de Georges, et, calmée, souriait.

Les dernières gouttes de pluie achevaient de tomber des arbres, et des oiseaux sautaient par-dessus les sentiers.

Desreynes, conquis pleinement, compatissait ; mais sa tristesse était heureuse ; il lui sembla qu’il assistait à la crise où une existence venait de se transformer tout entière ; l’entraînement des révoltes s’arrêtait là. Trop longtemps cette âme avait réagi contre la persécution d’une vertu acariâtre. Il la voyait, cette tante, il la comprenait, cette enfant. On avait par degrés desséché cette adolescence, et les tortures d’une inquisition l’avaient plus dépravée que la contagion d’un exemple. Et voilà qu’elle était passée, la rage sourde,