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d’autres égards, attribue à la matière, du moins implicitement, une réalité positive. Lorsqu’il invoque la matière comme apportant avec elle le hasard dans le monde[1], lorsqu’il fait d’elle la cause des erreurs de la nature et de la production des monstres (De gen. an. IV, 10, 778 a, 6-9), il y a moyen peut-être de ramener le pouvoir de la nature à un défaut, à une pure négation. Mais, d’autres fois, cette réduction devient impossible. Par exemple[2] la génération, et la différence des sexes qui en est la condition, sont quelque chose de positif au plus haut degré dans le système d’Aristote, puisque c’est par elles que se réalise l’éternité des espèces. Il est donc bien difficile d’admettre qu’il soit permis à Aristote d’expliquer par la matière, sans lui prêter une action positive, la production de la différence des sexes. — Mais surtout le point difficile est la théorie de l’individuation. L’individu est seul réel dans l’ontologie aristotélicienne. Or l’individu, lorsqu’il s’agit du moins de l’individu composé de forme et de matière, est individualisé par sa matière[3]. Voilà la matière qui devient source de réalité. Le sujet, la substance, ont bien l’air d’être au fond la matière. — Quoi qu’il en soit il n’y a là qu’une imperfection de la pensée d’Aristote. Ce n’est pas son intention délibérée et directe de faire de la matière une réalité véritable. Il ne pouvait pas vouloir lui conférer la réalité, non seulement parce que la théorie de la connaissance le force à mettre l’universel au-dessus du particulier, mais parce que, en laissant de côté toute la question de l’universel, son ontologie est en elle-même, après tout, conceptualiste ou idéaliste et que le concept, fût-il singulier, a pour essence d’être un autrement que par juxtaposition, unité qui fait l’être et qui précisément manqué à la matière. Car Aristote n’est pas loin, à certains moments, de définir la matière par un caractère que nous n’avons pas encore

  1. Métaph. Ε, 2, 1027 a, 13 : ὥστε ἔσται ἡ ὕλη ἡ ἐνδεχομένη παρὰ τὸ ὡς ἐπὶ τὸ πολὺ ἄλλως τοῦ συμβεβηκότος αἰτία..
  2. Comme le fait remarquer Zeller, p. 336, en bas et sq.
  3. Par ex. De Caelo, I, 9, 278 a, 19 : … ὅσων ἡ οὐσία ἐν ὕλῃ ἐστίν, πλείω καὶ ἄπειρα ὄντα τὰ ὁμοειδῆ. Cf. Zeller, p. 339 et, pour d’autres textes, Bonitz, Ind. 786 a, 52.