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encore un composé de forme et de matière, il faut bien se mettre en présence de la matière de l’élément, de la matière première[1]. Toutefois cette matière première ne se présente jamais séparée d’une forme : un élément peut se transformer, comme nous le verrons plus tard, en un autre élément ; jamais on ne saurait descendre dans l’échelle de l’être au-dessous de l’élément[2]. Ainsi la matière, c’est bien toujours quelque chose qui est inférieur d’un degré à la forme dans l’échelle ontologique, sans qu’il soit possible de sortir de cette corrélation. Au point de vue de la connaissance, la matière, n’étant qu’un relatif, ne peut pas plus être connue par soi qu’elle n’était capable d’exister par soi. On ne saurait dire, en la montrant du doigt pour ainsi dire : voilà la matière. La matière n’est connue que par égalité de rapport ou analogie : ce que l’airain est à la statue, ce que le lit est au bois, voilà ce qu’est la matière par rapport à la substance, à l’être concret et réel[3].

Aristote paraît donc bien loin de voir dans la matière une chose, ni une notion en soi. Ajoutons même que, par cela que la matière est au-dessous de son corrélatif dans l’ordre de l’être et dans celui de la connaissance, elle n’est pas vraiment et à la rigueur un corrélatif de la forme. Aristote met les corrélatifs sur la même ligne ; la matière est donc plutôt peut-être un contraire qu’un corrélatif de la forme, un contraire figurant dans la table des contraires du côté des négations[4]. La matière est un moindre être et, à la limite, une négation. Pourtant Aristote, à

  1. πρώτη ὕλη, par opposition à la matière prochaine, relative à chacune des formes à laquelle elle touche, ἐσχάτη ὕλη ou, comme disent les commentateurs, προσεχεστάτη ὕλη ; voir Zeller, p. 320, n. 2.
  2. De Gen. et corr. II, 1, 329 a, 24 : ἡμεῖς δὲ φαμὲν μὲν εἶναί τινα ὕλην τῶν σωμάτων τῶν αἰσθητῶν, ἀλλὰ ταύτην οὐ χωριστὴν ἀλλ’ ἀεὶ μετ’ ἐναντιώσεως, ἐξ ἧς γίνεται τὰ καλούμενα στοιχεῖα. Cf. Zeller, p. 324, n. 2.
  3. Métaph. Ζ, 10, 1036 a, 8 : ἡ δ’ ὕλη ἄγνωστος καθ’ αὑτήν (cf. Zeller, p. 323, n. 1) ; Phys. I, 7, 191 a, 7 : ἡ δὲ ὑποκειμένη φύσις ἐπιστητὴ κατ’ ἀναλογίαν, ὡς γὰρ πρὸς ἀνδριάντα χαλκὸς ἢ πρὸς κλίνην ξύλον ἢ πρὸς τῶν ἄλλων τι τῶν ἐχόντων μορφὴν ἡ ὕλη καὶ τὸ ἄμορφον ἔχει πρὶν λαβεῖν τὴν μορφήν, οὕτως αὕτη πρὸς οὐσίαν ἔχει καὶ τὸ τόδε τι καὶ τὸ ὄν.
  4. Cf. Métaph. Γ, 2, 1004 b, 26-29 ; Κ, 9, 1066 a, 15 sq. ; Λ, 7, 1072 a, 30-32 (voir Bonitz, Ind. 736 b, 57).