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Nous verrons tout à l’heure si Aristote a pu se dispenser d’attribuer à la matière toute espèce de réalité substantielle. Quoi qu’il en soit, il est certain que, lorsqu’il appelle la matière un sujet (ὑποκείμενον), et même une οὐσία, il n’entend pourtant pas la mettre sur le même pied que les individus ou substances premières, ni, qui plus est, sur le même pied que les genres ou substances secondes. Dans le chapitre même de la Métaphysique (Ζ, 3) où il fait valoir le plus fortement les titres de la matière à passer pour un sujet, il ajoute tout de suite qu’il est impossible que la matière soit un sujet à la rigueur, et cela pour cette raison que la caractéristique universellement admise d’un sujet ou d’une substance, c’est d’exister seul et séparé, tandis que la matière a toujours besoin d’être rattachée à autre chose pour exister (1029 a, 26-30). Et ailleurs (Métaph. Λ, 3, 1070 a, 9), il dit que la matière n’apparaît comme une substance que par un prestige de l’imagination : τόδε τι οὐσα τῷ φαίνεσθαι. On ne peut pas mieux dire que la matière n’existe pas en soi. Il faut donc regarder la formule célèbre de la Physique (II, 2, 194 b, 9) comme exprimant le meilleur de la pensée d’Aristote sur la matière : τῶν πρός τι ἡ ὕλη. De cette formule suivent aussitôt des conséquences capitales au point de vue de l’être et à celui de la connaissance. Au point de vue de l’être, si la matière est quelque chose de relatif, un simple corrélatif de la forme, comme il y a certainement diverses sortes de formes, suivant les catégories, et aussi divers degrés de perfection dans chaque catégorie de formes et notamment dans les substances, il y a plusieurs espèces de matière, par exemple celle de la quantité, celle de la qualité, etc. et surtout il y a des matières de divers degrés. Comme ajoute la Physique, après l’énoncé de la formule qui vient de nous occuper : ἄλλῳ γὰρ εἴδει ἄλλη ὕλη. L’être animé capable d’intellection a pour matière l’être animé sensitif, celui-ci l’être animé végétatif et celui-ci, le mixte, le mixte enfin, l’élément[1]. On peut craindre un moment que quelque embarras commence au-dessous de ce dernier terme ; car, l’élément étant

  1. Cf. Zeller, p. 326, n. 4.