Page:Hamelin - Le Système d’Aristote.djvu/248

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tote, n’est pas ou ne veut pas être d’un autre monde que le monde sensible. En effet, d’abord, elle part des phénomènes, et, si elle ne les prend pas pour objet, elle trouve du moins son objet en eux, puisque les formes intelligibles sont immanentes dans le sensible et non pas séparées. Ensuite, la science part des pensées de l’individu ; car c’est de l’expérience et de la routine que se dégagent l’art et la science (An. post. II, 19, 100 a, 6 et Métaph. Α, 1, 981 a, 2).

Mais la science et son objet, bien qu’ayant des attaches avec le monde sensible, sont, malgré tout, d’un autre ordre, sinon d’un autre monde. Si la science est, quant au sujet pensant, une suite de jugements qui s’imposent à la conviction, c’est qu’elle est, en elle-même, la connaissance par raison ou médiation et, par conséquent, la connaissance de l’ordre de dépendance ou de la nécessité des choses. Ce caractère dominateur de la science, déjà aperçu, au moins à l’arrière-plan, par Platon, est définitivement saisi et fixé par Aristote, grâce à la notion nouvelle et supérieure qu’il s’est faite de la preuve et de l’explication. Toutefois il est manifeste qu’il ne reste encore que trop platonicien et qu’il mêle à sa notion propre de la science un élément qui lui vient de son maître et de Socrate. Aristote définit ordinairement la science en disant qu’elle consiste à connaître par la cause. Il professe aussi qu’elle est la connaissance du nécessaire. Mais, d’un autre côté, il dit qu’elle est la connaissance de l’universel, et il identifie la cause avec l’universel. Nous allons voir que cette façon de présenter les choses révèle une véritable dualité dans la pensée d’Aristote et qu’elle jette l’incertitude et l’obscurité sur sa conception de la science, qui était en principe et qu’il aurait pu maintenir si nette.

Il n’y a en effet pour lui de science que de l’universel, et il n’y en a point de l’individuel. Si on prend ces termes dans leur sens extensif, cela signifie donc qu’il ne peut y avoir de connaissance scientifique d’une chose ou d’un fait qui ne se répéterait pas et que, par cela qu’une chose ou

    ὑπὸ λόγου… Cf. 4, 133 b, 29 ; 134 a, 1-4 et Éth. Nic. VI, 6 déb. Voir Rodier, Aristote, Traité de l’Âme, II, p. 404 s. med.