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Turlututu bulussu
Cursubutu rutussu.

(Les Conjurés écoutent attentivement et paraissent profondément émus du sens de ces paroles, Fè-ni-han se lève.)
FÈ-NI-HAN.
Axaxo tapioca

Macaroni frituro
Priero laco
Ra-ca-hout.

(Fé-an-nich-ton et Ké-ki-ka-ko se lèvent et s’avancent sur le devant de la scène, ainsi que Fè-ni-han et Ko-ko-ri-ko. Tous quatre chantent ce qui suit avec un grand recueillement.)
ENSEMBLE.

Dra ! dra ! dra !
Dru ! drul dru !
Tra ! tre ! tra !
Tru ! tru ! tru !
Cra ! cral cra !
Cru ! cru ! cru !

(Fè-ni-han, Ké-ki-ka-ko, Fé-an-nich-ton et Ko-ko-ri-ko s’écrient ensuite, avec de grands gestes :)

Danaxara !
Rafataxa !
Rapatassa !
Canarata !

(Ils tombent tous quatre assis sur des coussins que les Conjurés ont préparés derrière eux et se relèvent en mesure. Fè-ni-han redemande par une ruade son chapeau chinois et sort suivi de près par le chef des Conjurés et par les Conjurés, qui lancent sur lui des regards furieux.)


Scène II.

FÉ-AN-NICH-TON, KÉ-KI-KA-KO.
(Restés seuls, Fé-an-nich-ton et Ké-ki-ka-ko se saluent profondément et vont s’asseoir chacun sur son pliant : Fé-an-nich-ton prend sous le tapis de l’estrade du trône un roman illustré à vingt centimes ; Ké-ki-ka-ko prend sous son pliant un numéro du journal la Patrie ; ils lisent gravement pendant quelques secondes en se tournant le dos ; mais Ké-ki-ka-ko, entendant un froissement de papier, se lève, et s’approche de Fé-an-nich-ton en tenant à la main son numéro de la Patrie.)
KÉ-KI-KA-KO, voyant le roman de Fé-an-nich-ton.

Ciel ! un roman illustré ! vingt centimes la livraison ! la Laitière de Montfermeil ! Paul de Kock !

FÉ-AN-NICH-TON, se levant et voyant la Patrie.

Ciel ! ce langage ! ce numéro de la Patrie, un Français !…

KÉ-KI-KA-KO, saisissant Virginie.

Une compatriote !… oh ! sur mon cœur !… oh ! dans mes bras !…

FÉ-AN-NICH-TON, avec dignité.

Monsieur…

KÉ-KI-KA-KO.

Quoi !… n’êtes-vous pas la jeune mandarine Fé-an-nich-ton ?…

FÉ-AN-NICH-TON.

Quoi !… n’êtes-vous pas le Chinois Ké-ki-ka-ko ?…

KÉ-KI-KA-KO.

Gâchis des gâchis !… galimatias des galimatias !… elle n’est pas Chinoise !…

FÉ-AN-NICH-TON.

Il n’est pas Chinois !… mais, ô monsieur ! vous qui parlez français !… parlez !… parlez encore !… parlez toujours !… faites murmurer à mon oreille la douce langue de la patrie !…

KÉ-KI-KA-KO.

Mais, avec plaisir, avec délices, avec ivresse, avec volupté, avec transport, avec rage !… Parler français !… parler français !… Oh ! ma mâchoire !… disloque-toi, démantibule-toi et livre-toi avec enthousiasme à cet exercice national !… Mais, que pourrais-je bien vous raconter, chère madame ?… Eh parbleu ! mon histoire !…

FÉ-AN-NICH-TON.

Une histoire, c’est ordinairement bien ennuyeux… mais une histoire en français… Je vous écoute… je vous écoute !

KÉ-KI-KA-KO.

Le faux Chinois que vous avez devant les yeux est une des plus déplorables victimes des vicissitudes humaines ! Vous pouvez considérer les lamentables débris de ce que fut naguère, jadis, autrefois, l’élégant vicomte Alfred de Cérisy ! Ce gentilhomme, c’est moi, madame, c’est moi-même ! ex-fashionable du boulevard des Italiens, ex-habitué de la Maison-Dorée, ex-artiste d’un théâtre de mélodrame, ex-directeur d’une troupe de funambules, ex-entrepreneur d’un dîner humanitaire à 90 centimes, ex-auteur constamment sifflé ; enfin, ex-tout ce qu’on peut avoir été, ex…epté millionnaire ; car vous connaissez le proverbe : roule qui mousse n’amasse pas pierre ! Je n’entreprendrai pas de vous narrer mes infortunes parisiennes ! Apprenez seulement que, ruiné dans une dernière entreprise formée au capital de 600,000,000 de francs, je dus me résoudre à quitter le macadam ingrat de ma belle patrie. Après avoir réalisé une somme assez rondelette, trois francs soixante-quinze, produit de la vente de mon somptueux mobilier de Boule, je ne la perdis pas. Je partis, c’était le seul qui pût me rester à pren-