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lourd — je savais trop bien lequel — fut traîné sur le carrelage de la cuisine jusqu’à l’ouverture. Irrésistiblement attiré, je me glissai jusqu’à la porte et jetai un coup d’œil dans la cuisine. Par le triangle de clarté extérieure, j’aperçus le Marsien dans sa machine aux cent bras examinant la tête du vicaire. Immédiatement, je pensai qu’il allait inférer ma présence par la marque du coup que j’avais asséné.

Je regagnai la soute à charbon, en refermai la porte et me mis à entasser sur moi dans l’obscurité autant que je pus de charbon et de bûches, en tâchant de faire le moins de bruit possible. À tout instant je demeurais rigide, écoutant si le Marsien avait de nouveau passé ses tentacules par l’ouverture.

Alors, reprit le faible cliquetis métallique. Bientôt, je l’entendis plus proche — dans la laverie, d’après ce que je pus en juger. J’eus l’espoir que le tentacule ne serait pas assez long pour m’atteindre ; il passa, râclant légèrement la porte de la soute. Ce fut un siècle d’attente presque intolérable, puis j’entendis remuer le loquet. Il avait trouvé la porte ! Le Marsien comprenait les serrures !

Il ferrailla un instant et la porte s’ouvrit.

Des ténèbres où j’étais, je pouvais juste apercevoir l’objet, ressemblant à une trompe d’éléphant plus qu’à autre chose, s’agitant de mon côté, touchant et examinant le mur, le charbon, le bois, le plancher. Cela semblait être un gros ver noir, agitant de côté et d’autre sa tête aveugle.

Une fois même, il toucha le talon de ma bottine. Je fus sur le point de crier, mais je mordis mon poing. Pendant un moment, il ne bougea plus : j’aurais pu croire qu’il s’était retiré. Tout à coup, avec un brusque déclic, il agrippa quelque chose — je me figurai que c’était moi ! — et parut sortir de la soute. Pendant un instant, je n’en fus pas sûr. Apparemment, il avait pris un morceau de charbon pour l’examiner.

Je profitai de ce moment de répit pour changer de position, car je me sentais engourdi, et j’écoutai. Je murmurais des prières passionnées pour échapper à ce danger.

Soudain, j’entendis revenir vers moi le même bruit lent et net. Lentement, lentement, il se rapprocha, râclant les murs et heurtant le mobilier.

Pendant que je restais attentif, doutant encore, la porte de la soute fut vigoureusement heurtée et elle se ferma. J’entendis le tentacule pénétrer dans l’office ; il renversa des boîtes à biscuits, brisa une bouteille et il y eut encore un choc violent contre la porte de la soute. Puis le silence revint, qui se continua en une attente infinie.

Était-il parti ?

À la fin, je dus conclure qu’il s’était retiré.

Il ne revint plus dans la laverie, mais pendant toute la dixième journée, dans les ténèbres épaisses, je restai enseveli sous les bûches et sous le charbon, n’osant même pas me glisser au dehors pour avoir le peu d’eau qui m’était si nécessaire. Ce fut le lendemain seulement, le onzième jour, que j’osai me risquer à chercher quelque chose à boire.