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ce qu’était devenue la tranquille route suburbaine de la veille. Combien vaste était le changement que nous pouvions ainsi contempler !

Le cinquième cylindre avait dû tomber au plein milieu de la maison que nous avions d’abord visitée. Le bâtiment avait disparu, complètement écrasé, pulvérisé et dispersé par le choc. Le cylindre s’était enfoncé plus profondément que les fondations dans un trou beaucoup plus grand que celui que j’avais vu à Woking. Le sol avait éclaboussé, de tous les côtés, sous cette terrible chute — « éclaboussé » est le seul mot — des tas énormes de terre qui cachaient les maisons voisines. Il s’était comporté exactement comme de la boue sous un violent coup de marteau. Notre maison s’était écroulée en arrière ; la façade, même celle du rez-de-chaussée, avait été complètement détruite ; par hasard, la cuisine et la laverie avaient échappé et étaient enterrées sous la terre et les décombres ; nous étions enfermés de toutes parts sous des tonnes de terre, sauf du côté du cylindre ; nous nous trouvions donc exactement sur le bord du grand trou circulaire que les Marsiens étaient occupés à faire ; les sons sourds et réguliers que nous entendions venaient évidemment de derrière nous et, de temps en temps, une brillante vapeur grise montait comme un voile devant l’ouverture de notre cachette.

Au centre du trou, le cylindre était déjà ouvert ; sur le bord opposé, parmi la terre, le gravier et les arbustes brisés, l’une des grandes machines des Marsiens, abandonnée par son occupant, se tenait debout, raide et géante, contre le ciel du soir. Bien que, pour plus de commodité, je les aie décrits en premier lieu, je n’aperçus d’abord presque rien du trou ni du cylindre ; mon attention fut absorbée par un extraordinaire et scintillant mécanisme que je voyais à l’œuvre au fond de l’excavation, et parmi les étranges créatures, qui rampaient péniblement et lentement sur les tas de terre.

Le mécanisme, certainement, frappa d’abord ma curiosité. C’était un de ces systèmes compliqués, qu’on a appelés depuis Machines à Mains, et dont l’étude a donné déjà une si puissante impulsion au développement de la mécanique terrestre. Telle qu’elle m’apparut, elle présentait l’aspect d’une sorte d’araignée métallique avec cinq jambes articulées et agiles, ayant autour de son corps un nombre extraordinaire de barres, de leviers articulés, et de tentacules qui touchaient et prenaient. La plupart de ses bras étaient repliés, mais avec trois longs tentacules elle attrapait des tringles, des plaques, des barres qui garnissaient le couvercle et apparemment renforçaient les parois du cylindre. À mesure que les tentacules les prenaient, tous ces objets étaient déposés sur un tertre aplani.

Le mouvement de la machine était si rapide, si complexe et si parfait que, malgré les reflets métalliques, je ne pus croire au premier abord que ce fût un mécanisme. Les engins de combat étaient coordonnés et animés à un degré extra ordinaire, mais rien en comparaison de ceci. Ceux qui n’ont pas vu ces constructions, et n’ont pour se renseigner que les imaginations des dessinateurs, ou les descriptions forcément imparfaites de témoins oculaires, peuvent difficilement se faire une idée de l’impression d’organismes vivants qu’elles donnaient.