Page:H G Wells La guerre des mondes 1906.djvu/136

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Portant ses regards vers le nord-ouest, mon frère vit la large courbe des embarcations et des navires déjà secouée par l’épouvante qui planait ; un navire passait derrière une barque, un autre se tournait, l’avant vers la pleine mer. Des paquebots sifflaient et vomissaient des nuages de vapeur ; des voiliers larguaient leurs voiles ; des chaloupes à vapeur se faufilaient entre les gros navires. Il était si fasciné par cette vue et par le danger qui s’avançait à gauche qu’il ne vit rien de ce qui se passait vers la pleine mer. Un brusque virage que fit le vapeur pour éviter d’être coulé bas le fit tomber, de tout son long, du banc sur lequel il était monté. Il y eut un grand cri tout autour de lui, un piétinement et une acclamation à laquelle il lui sembla qu’on répondait faiblement. Le bateau tira une embardée et il fut de nouveau renversé sur les mains.

Il se remit debout et vit à tribord, à cent mètres à peine de leur bateau tanguant et roulant, une vaste lame d’acier qui, comme un soc de charrue, séparait les flots, les lançant de chaque côté, en énormes vagues écumeuses qui bondissaient contre le petit steamer, le soulevant, tandis que ses aubes tournaient à vide dans l’air, puis le laissant retomber au point de le submerger.

Une douche d’embrun aveugla mon frère pendant un instant. Quand il put rouvrir les yeux, le monstre était passé et courait à toute vitesse vers la terre. D’énormes tourelles d’acier se dressaient sur sa haute structure, d’où deux cheminées se projetaient, crachant un souffle de fumée et de feu dans l’air. Le cuirassé « le Fulgurant » venait à toute vapeur au secours des navires menacés.

Se cramponnant contre le bastingage, pour se maintenir debout sur le pont malgré le tangage, mon frère porta de nouveau ses regards sur les Marsiens : il les vit tous trois rassemblés maintenant, et tellement avancés dans la mer que leur triple support était entièrement submergé. Ainsi amoindris et vus dans cette lointaine perspective, ils paraissaient beaucoup moins formidables que l’immense masse d’acier dans le sillage de laquelle le petit steamer tanguait si péniblement. Les