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CVIII. La première année du mariage de Cambyse avec Mandane, Astyage eut un autre songe : il lui sembla voir sortir du sein de sa fille une vigne qui couvrait toute l’Asie. Ayant communiqué ce songe aux interprètes, il fit venir de Perse Mandane, sa fille, qui était près d’accoucher. Aussitôt après son arrivée, il la fit garder, dans le dessein de faire périr l’enfant dont elle serait mère ; les mages, interprètes des songes, lui ayant prédit que l’enfant qui naîtrait de cette princesse régnerait un jour à sa place. Comme Astyage se tenait en garde contre cet événement, Cyrus fut à peine né qu’il manda Harpage, son parent, celui de tous les Mèdes qui lui était le plus attaché, et sur lequel il se reposait du soin de toutes ses affaires. « Harpage, lui dit-il, exécute fidèlement l’ordre que je vais te donner, sans chercher à me tromper, de crainte qu’en t’attachant à d’autres maîtres que moi tu ne travailles à ta propre perte. Prends l’enfant qui vient de naître de Mandane, porte-le dans ta maison, fais-le mourir, et l’inhume ensuite comme il te plaira. — Seigneur, répondit Harpage, j’ai toujours cherché à te plaire, et je ferai mon possible pour ne jamais t’offenser. Si tu veux que l’enfant meure, j’obéirai exactement à tes ordres, du moins autant qu’il dépendra de moi.»

CIX. Après cette réponse, on remit l’enfant, paré pour la mort, entre les mains d’Harpage. Il s’en retourna chez lui les larmes aux yeux ; et, en abordant sa femme, il lui raconta tout ce qu’Astyage lui avait dit. « Quelle est ta résolution ? reprit-elle. — Je n’exécuterai point les ordres d’Astyage, répondit-il, dût-il devenir encore plus emporté et plus furieux qu’il ne l’est maintenant ; je n’obéirai point à ses volontés, je ne me prêterai point à ce meurtre. Non, je ne le ferai point, par plusieurs raisons : premièrement, je suis parent de l’enfant ; secondement, Astyage est avancé en âge, et n’a point d’enfant mâle. Si, après sa mort, la couronne passe à la princesse sa fille, dont il veut aujourd’hui que je fasse mourir le fils, que me reste-t-il, sinon la perspective du plus grand danger ? Pour ma sûreté, il faut que l’enfant périsse ; mais que ce soit par les mains de quelqu’un des gens d’Astyage, et non par le ministère des miens. »

CX. Il dit, et sur-le-champ il envoya un exprès à celui des