Page:Hérodote - Histoire, trad. Larcher, tome 1, 1850.djvu/290

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
291
THALIE, LIVRE III.

vres. La cannelle croît dans un lac peu profond. Sur ce lac et tout à l’entour, il y a des animaux volatiles semblables à des chauves-souris. Ces animaux jettent des cris perçants et terribles, et sont très-forts. Les Arabes ont soin de les repousser et de se garantir les yeux, et avec cette précaution ils récoltent la cannelle.

CXI. Le cinnamome[1] se recueille d’une façon encore plus merveilleuse. Les Arabes eux-mêmes ne sauraient dire ni où il vient, ni quelle est la terre qui le produit. Quelques-uns prétendent qu’il croît dans le pays où Bacchus fut élevé ; et leur sentiment est appuyé sur des conjectures vraisemblables. Ils racontent que de certains gros oiseaux vont chercher ces brins ou bâtons que nous appelons cinnamome, nom que nous avons appris des Phéniciens ; que ces oiseaux les portent à leurs nids, qu’ils construisent avec de la boue sur des montagnes escarpées, et où aucun homme ne peut monter. Pour avoir ces brins de cinnamome, on prétend que les Arabes emploient cet artifice : ils prennent de la chair de bœuf, d’âne et d’autres bêtes mortes, la coupent en très-gros morceaux, et l’ayant portée le plus près des nids qu’il leur est possible, ils s’en éloignent. Les oiseaux fondent sur cette proie, et l’emportent dans leurs nids ; mais comme ces nids ne sont point assez solides pour la soutenir, ils se brisent et tombent à terre. Les Arabes surviennent alors, et ramassent le cinnamome, qu’ils font ensuite passer dans les autres pays.

CXII. Le lédanon[2], que les Arabes appellent ladanon, se recueille d’une manière encore plus merveilleuse que le cinnamome. Quoique très-odoriférant, il vient dans un

  1. C’est le nom que les Grecs et les Latins du Bas-Empire ont donné à notre cannelle, qui est le casia d’Hérodote, et le casia syrinx ou casia fistula de la plupart des auteurs. Mais les anciens entendaient sous le nom de cinnamome l’arbre même qui donne la cannelle. (L.)
  2. Le lédum est un arbrisseau odoriférant qui s’élève à deux ou trois pieds. Les chèvres broutent les feuilles du lédum, sur lesquelles il y a une matière gommeuse dont leur barbe se charge. Les paysans ont soin de la ramasser avec des peignes de bois faits exprès ; ensuite ils la fondent, la coulent, et la mettent en masse ; c’est ce qu’on appelle lédanon ou ladanon. « On l’amasse aussi avec une espèce de fouet à long manche et à double rang de courroies, qu’on fait rouler sur ces plantes, et qui se chargent ainsi de la glu odoriférante attachée sur les feuilles. » (Tournefort.)