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CLIO, LIVRE I.

me forcez à tuer mon maître, je suis prêt à prendre les moyens d’y réussir. — Le lieu de l’embuscade, répondit-elle, sera celui-là même d’où il m’a exposée nue à tes regards, et le temps de l’attaque celui de son sommeil. »

XII. Ces mesures prises, elle retint Gygès : nul moyen pour lui de s’échapper. Il fallait qu’il pérît, lui ou Candaule. À l’entrée de la nuit elle l’introduit dans la chambre, l’arme d’un poignard, et le cache derrière la porte : à peine Candaule était endormi, Gygès[1] avance sans bruit, le poignarde, s’empare de son épouse et de son trône. Archiloque[2] de Paros, qui vivait en ce temps-là, fait mention de ce prince dans une pièce qu’il a composée en vers ïambes trimètres.

XIII. Gygès étant monté de la sorte sur le trône, il y fut affermi par l’oracle de Delphes. Les Lydiens, indignés de la mort de Candaule, avaient pris les armes ; mais ils convinrent avec les partisans de Gygès que, si l’oracle le reconnaissait pour roi de Lydie, la couronne lui resterait ; qu’autrement elle retournerait aux Héraclides. L’oracle prononça, et le trône fut, par ce moyen, assuré à Gygès. Mais la Pythie ajouta que les Héraclides seraient vengés sur le cinquième descendant de ce prince. Ni les Lydiens ni leurs rois ne tinrent aucun compte de

  1. Cette aventure célèbre a été racontée de plusieurs manières. Platon fait de Gygès, un berger du roi de Lydie, qui se mit en possession d’un anneau qu’il trouva au doigt d’un homme mort, et enfermé dans les flancs d’un cheval de bronze. Ce berger s’étant aperçu de la propriété qu’avait cet anneau de rendre invisible lorsque le chaton se trouvait dans le dedans de la main, il se fit députer par les bergers, séduisit la reine, et assassinat Candaule. Xénophon dit qu’il était esclave. Cela ne détruit point le sentiment de Platon, les anciens ne se servant que d’esclaves. Plutarque prétend que Gygès prit les armes contre Candaule, et qu’avec un secours de Milésiens conduits par Arsélis il défit ce prince, qui demeura sur le champ de bataille. Le sentiment d’Hérodote paraît préférable aux autres. Né dans une ville voisine de la Lydie, il était plus à portée que personne de s’instruire des faits qui concernaient ce royaume. (L.)
  2. Ce poëte célèbre florissait, suivant Cicéron, dans le temps que Romulus régnait à Rome. Ses poésies parurent aux Lacédémoniens si dangereuses pour les mœurs, qu’ils les proscrivirent de leur ville, et les vers qu’il composa sur la perte de son bouclier le firent chasser de Sparte. (Voyez Bibliothèque grecque de Fabricius, t. i, p. 547.)