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EUTERPE, LIVRE II.

pour les ouvriers en raiforts, en oignons et en aulx ; et celui qui m’interpréta cette inscription me dit, comme je m’en souviens très-bien, que cette dépense se montait à seize cents talents d’argent. Si cela est vrai, combien doit-il en avoir coûté pour les outils de fer, pour le reste de la nourriture et pour les habits des ouvriers, puisqu’ils employèrent à cet édifice le temps que nous avons dit, sans compter celui qu’ils mirent, à mon avis, à tailler les pierres, à les voiturer, et à faire les édifices souterrains, qui fut sans doute considérable !

CXXVI. Chéops, épuisé par ces dépenses, en vint au point d’infamie de prostituer sa fille dans un lieu de débauche, et de lui ordonner de tirer de ses amants une certaine somme d’argent. J’ignore à combien se monta cette somme ; les prêtres ne me l’ont point dit. Non-seulement elle exécuta les ordres de son père, mais elle voulut aussi laisser elle-même un monument. Elle pria tous ceux qui la venaient voir de lui donner chacun une pierre pour des ouvrages qu’elle méditait. Ce fut de ces pierres, me dirent les prêtres, qu’on bâtit la pyramide qui est au milieu des trois, en face de la grande pyramide, et qui a un plèthre et demi de chaque côté.

CXXVII. Chéops, suivant ce que me dirent les Égyptiens, régna cinquante ans. Étant mort, son frère Chéphren lui succéda, et se conduisit comme son prédécesseur. Entre autres monuments, il fit aussi bâtir une pyramide : elle n’approche pas de la grandeur de celle de Chéops (je les ai mesurées toutes les deux) ; elle n’a ni édifices souterrains, ni canal qui y conduise les eaux du Nil ; au lieu que l’autre, où l’on dit qu’est le tombeau de Chéops[1], se trouve dans une île, et qu’elle est environnée des eaux du Nil, qui s’y rendent par un canal construit à ce dessein.

  1. Hérodote n’assure point que le corps de Chéops fût dans cette pyramide. On lit dans Diodore de Sicile, en parlant de la première et de la seconde pyramide, que, « quoique les rois les eussent destinées à leur servir de sépulture, il arriva cependant qu’aucun d’eux n’y fut enterré. Le peuple, indigné à cause des travaux dont ils l’avaient accablé, et de la violence et de la cruauté dont il en avait été traité, menaçait d’arracher leurs cadavres de leurs tombeaux, et de les mettre en pièces ; aussi ces deux rois ordonnèrent-ils à leurs parents de les enterrer secrètement dans un lien inconnu. » (L.)