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CLIO, LIVRE I.

des Massagètes, oui, je t’assouvirai de sang, quelque altéré que tu en sois. »

CCXIII. Cyrus ne tint aucun compte de ce discours. Quant à Spargapisès, étant revenu de son ivresse, et apprenant le fâcheux état où il se trouvait, il pria Cyrus de lui faire ôter ses chaînes. Il ne se vit pas plutôt en liberté, qu’il se tua. Telle fut la triste fin de ce jeune prince.

CCXIV. Tomyris, voyant que Cyrus n’était pas disposé à suivre son conseil, rassembla toutes ses forces, et lui livra bataille. Ce combat fut, je crois, le plus furieux qui se soit jamais donné entre des peuples barbares. Voici, autant que je l’ai pu savoir, comment les choses se passèrent. Les deux armées étant à quelque distance l’une de l’autre, on se tira d’abord une multitude de flèches. Les flèches épuisées, on fondit les uns sur les autres à coups de lances, et l’on se mêla l’épée à la main. On combattit longtemps de pied ferme, avec un avantage égal et sans reculer. Enfin la victoire se déclara pour les Massagètes : la plus grande partie de l’armée des Perses périt en cet endroit, et Cyrus lui-même fut tué dans le combat, après un règne de vingt-neuf ans accomplis. Tomyris, ayant fait chercher ce prince parmi les morts, maltraita son cadavre, et lui fit plonger la tête dans une outre pleine de sang humain. « Quoique vivante et victorieuse, dit-elle, tu m’as perdue en faisant périr mon fils, qui s’est laissé prendre à tes piéges ; mais je t’assouvirai de sang, comme je t’en ai menacé. » On raconte diversement la mort de Cyrus[1] ; pour moi ; je me suis borné à ce qui m’a paru le plus vraisemblable.

CCXV. Les Massagètes s’habillent comme les Scythes, et leur manière de vivre est la même. Ils combattent à pied et à cheval, et y réussissent également. Ils sont gens de trait et bons piquiers, et portent des sagares[2], suivant

  1. Xénophon fait mourir ce prince tranquillement dans son lit. Il paraît que c’était aussi le sentiment de Strabon, qui assure qu’on montrait son tombeau à Pasargades. Lucien dit qu’il mourut âgé de plus de cent ans, de chagrin de ce que son fils Cambyse avait fait mourir la plupart de ses amis. (L.)
  2. La sagare est une hache à deux tranchants. Les Amazones se servaient de cette sorte d’arme.