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pour lui faire observer qu’elles sont le produit de nos facultés : nous observons les phénomènes concrets, lui avez-vous dit ; nous les comparons et, par là, nous en constatons les ressemblances et les différences ; par notre faculté dabstraire, nous détachons les similitudes individuelles, et nous en formons une sorte d’être de raison qu’on appelle une espèce, un groupe, une famille, etc. ; mais en réalité, dans la nature, il n’y a que des individus plus ou moins dissemblants ou ressemblants ; les abstractions ne sont pas des choses.

Vous avez eu bien soin aussi de l’empêcher de se créer des idoles scientifiques, et de se méprendre sur la portée du langage de la science. Ainsi vous lui avez démontré que toute idée générale et abstraite n’a de réalité que dans les faits : que, par exemple, la couleur bleue n’existe pas en dehors des objets qui ont cette coloration, pas plus que la pensée en dehors des cerveaux qui pensent, et les lois en dehors des individus d’où on les a abstraites. Vous lui avez bien dit qu’une idée abstraite ou générale n’exprime qu’une qualité des choses ; que lorsque l’on dit, par exemple : par la loi d’attraction, les corps tendent vers le centre de la terre, cela ne signifie pas qu’il y a, en dehors des corps, quelque chose qu’on nomme loi d’attraction, mais seulement que tous les corps ont une qualité faisant partie d’eux-mêmes, qui les fait se diriger vers le centre du globe, lequel centre a la propriété de les attirer ; qu’en conséquence dire : voilà la loi de telle série, cela signifie : tous les êtres de telle série ont telle qualité active. Personnifier une abstraction, en faire un être à part pour la commodité du langage, c’est bien : mais il ne faut pas s’y laisser tromper.