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Oui, mon enfant, tout amour est dans la nature humaine, comme y sont tout vice et toute vertu. Mais tu sais qu’il ne suffit pas qu’une chose soit en nous, pour qu’elle soit bien : il faut qu’elle soit conforme à l’idéal de notre destinée, conforme à notre harmonie : elle est mal dans le cas contraire.

L’amour, tel que nous l’avons défini, a besoin de durée et d’égalité ; de durée parce qu’on ne se modifie pas en quelques mois ; qu’on n’accomplit pas de grandes œuvres en quelques mois ; qu’on n’élève pas des enfants en quelques mois : la durée est si bien une aspiration de l’amour, qu’il s’imagine que l’éternité aura peine à lui suffire. Il lui faut l’égalité ; le partage lui est odieux : donc il veut un pour une et une pour un. Or, la polygamie et la polyandrie sont la négation de l’égalité, de la dignité dans l’amour.

Considérons dans leurs effets ces deux déviations de l’instinct.

La polygamie orientale inégalise profondément les créatures humaines, transforme la femme en bétail, mutile des millions d’hommes pour garder les harems, déprave le possesseur de femmes par le despotisme et la cruauté ; concentre toute sa vitalité sur un seul instinct aux dépens de l’intelligence, de la Raison, de l’activité ; d’où il résulte qu’il est perdu pour la science, l’art, l’industrie, la Société selon le Droit ; qu’il se soumet sans répugnance au despotisme, et tend passivement le cou au cordon. Là pas d’influence de la femme qu’on soumet a un amoindrissement calculé ; qui se déprave d’une manière hideuse aussi bien que l’eunuque son gardien. Ainsi l’inégalité devant l’amour et devant le Droit, l’abandon des arts, des sciences, de l’industrie, l’énervement intellectuel et physique, l’abaissement du sens