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qui ne ferait que manifester une force brute nous laisserait froids ; il pourrait nous plaire encore par les dessins géométriques qu’il réalise ; mais nous ne nous mettrions pas pour ainsi dire à la place du moteur, pour jouir sympathiquement de l’aisance des mouvements accomplis. En réalité un mouvement beau ou gracieux a toujours quelque chose de vivant, et nous ne pouvons nous empêcher de placer par derrière un moteur semblable à nous. Voir la nature et la trouver belle, c’est se la figurer vivante et, autant que possible, se la représenter sous une forme humaine. On pourrait dire en renforçant la parole de Térence : Je ne m’intéresse qu’à ce qui est humain. S’il n’y avait pour embellir l’univers que le poids, le nombre et la mesure, il nous laisserait presque indifférents.

La première qualité du mouvement, la force, est en somme invisible et cachée ; quand ce mot ne désigne pas une simple formule de mécanique abstraite, il désigne un déploiement d’activité ou de volonté qui ne nous est connu que par la conscience. La force, cette première beauté, se ramène donc à un simple état de la conscience, lié lui-même à des sentiments de toute sorte, par exemple la confiance en soi, l’assurance et le courage. Il y a un point où la force et le courage grossier se confondent : à peine les distingue-t-on chez certains animaux comme le boule-dogue, ou chez le sauvage, courageux dans la mesure même où il est fort. La force physique est de l’énergie morale en germe ; si vouloir, c’est pouvoir, ne peut-on dire avec autant de raison que pouvoir beaucoup, c’est se sentir excité à vouloir beaucoup ? Aussi