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une chose relative ; rien de plus doux que le retour à l’accord parfait après une série d’accords de septième ; de même, rien ne produit plus d’effet que tel vers de Musset éclatant par sa rime riche au milieu d’harmonies plus sourdes. Quant à La Fontaine, par une étrange rencontre, c’est M. de Banville qui a le mieux caractérisé un jour ses rimes prétendues négligées en disant : « Il a fait de la rime, non pas un grelot sonore et toujours le même, mais une note variée à l’infini, dont le chant augmente d’éclat et d’intensité selon ce qu’elle doit peindre et selon l’effet qu’elle doit produire[1]. »

  1. Outre la question de son musical, on a voulu aussi considérer dans la rime la question d’orthographe. Les vers, dit-on, ne sont pas toujours destinés à être entendus ; ils doivent aussi être lus et offrir quelque symétrie pour les yeux ; en outre, on invoque ici le principe philosophique de l’association des idées et des images ; même lorsque nous entendons un mot prononcé ta haute voix devant nous, nous voyons aussitôt passer devant nos yeux l’image de ce mot fixé sur le papier ; il faut donc que les rimes soient non seulement exactes pour Foreille, mais aussi pour la vue. — Nous répondrons en deux mots, par des exemples : nous sommes habitués depuis longtemps à voir rimer : faim et fin, jonc et long, fils et fis (cette dernière rime n’est mauvaise qu’à cause du son) ; peut-on trouver une raison scientifique pour s’arrêter là et blâmer Racine d’avoir fait rimer seing et sein, La Fontaine court et cour, coup et cou, V. Hugo long et salon, vert et hiver, etc. ? Tous les poètes ont eu un mélange d’audaces et de timidités assez étranges sous le rapport de l’orthographe ; en dehors des signes distinclifs du pluriel et du singulier, nous ne croyons pas qu’on puisse rationnellement leur interdire à cet égard aucune liberté. Maintenant pour quelle raison les poètes ont-ils évité de faire rimer le pluriel avec le singulier ? Ici les différences d’orthographe correspondent à des distinctions de classification auxquelles fesprit tient à bon droit : la différence fondamentale du nombre et du genre doit donc être respectée dans la rime, précisément parce que la rime cherche à produire sur l’esprit l’impression du semblable. Ajoutons qu’il est assez logique de tenir compte dans