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elle n’est scientifiquement que le moyen de marquer la fin du vers ; du moment où, grâce à elle, la mesure est devenue sensible, son rôle essentiel est terminé. Le prosateur qui renforce et resserre sa pensée n’arrive pas à la rime; mais il arrive au rythme. Si l’on demande à la rime de jouer un rôle plus important, ce peut être une question de préférence personnelle, mais la rime « opulente » n’a pas beaucoup plus d’importance dans une théorie scientifique du vers français que la rime annexée, batelée, etc., du quatorzième et du quinzième siècle. À aucune époque de l’histoire, la rime riche ne fut tenue en aussi grand honneur que pendant ces deux siècles. Des oreilles qui n’étaient pas encore assez délicates pour être choquées des hiatus trouvaient un plaisir extrême dans la répétition des mêmes sons accompagnée de la différence de sens ; à cette époque, les vers étaient bien proprement, selon l’idéal de M. de Banville, d’harmonieux « calembours. »


Pour dire vrai, au temps qui court,
Cour est un périlleux passage ;
Pas sage n’est qui va en cour,
Court est son bien et avantage.


Non seulement les rimes annexées de cette manière, mais les enchaînées, les fraternisées, les batelées, les couronnées et tant d’autres, produisaient de charmantes surprises pour l’oreille et pour l’esprit. La rime batelée, par exemple (du vieux verbe bateler, faire des tours), qui ramenait la même consonance non seulement à la fin des vers correspon-