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idées ainsi obtenues, le poète « bouche les trous » avec la sérénité de conscience d’un bon ouvrier à la journée.

Il est impossible de tracer plus fidèlement l’idéal que devait finir par se proposer la poésie « parnassienne » ou « romantique, » en s’inspirant non pas des vers mêmes de V. Hugo, mais de ses théories. Ajoutons que, si toute la poésie se réduit à la rime, elle doit pouvoir « s’apprendre, » comme disait Th. Gautier[1]. M. de Banville sur ce point se montre moins logique que ce maître : selon lui, l’art de trouver la rime est un don surnaturel, divin (les athées, par parenthèse, en seraient exclus). C’est par ce côté que M. de Banville va relever son poète idéal et le grandir à nos yeux : la rime est le trépied d’Apollon. La rime, dit-il, se révèle par une sorte de coup de théâtre « surnaturel et inexplicable. » « Si vous êtes poète, le mot type se présentera à vous tout armé, c’est-à-dire accompagné de sa rime. Vous n’avez pas plus à vous occuper de le trouver que Zeus n’eut à s’occuper de coiffer le front de sa fille Athéné du casque horrible et de lui attacher les courroies de sa cuirasse, au moment où elle s’élança de son front, formidable et sereine comme l’éclair qui déchire la nuée. » Voilà de la mythologie et non de la science. Pourquoi donc M. de Banville, d’accord avec Th. Gautier, conseillait-il tout à l’heure à son apprenti poète de lire force catalogues de ventes, de musées, etc., et d’avoir une bonne mémoire ? Les dictionnaires et les catalogues de ventes ne seraient-ils pas encore plus féconds que la tête de Jupiter, et n’est-ce

  1. Voir aussi Wilhem Tenint, Profiodie de l’école moderne, p. 89.