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ciples de Kant finissent par s’accorder avec ceux de M, Spencer sur l’analogie qui existe entre le plaisir du beau et le plaisir du jeu[1]. Enfin, en Allemagne, l’école de Schopenhauer considère aussi l’art comme une sorte de jeu supérieur, propre à nous consoler quelques instants des misères de l’existence et à préparer un plus entier affranchissement par la morale.

Quelque complet que semble l’accord des écoles actuelles sur l’identité de l’art et du jeu, il est permis de se demander si la théorie, aujourd’hui en faveur, a bien saisi la vraie nature des sentiments esthétiques. En s’attachant d’une manière exclusive au plaisir de la contemplation pure et du jeu, en voulant désintéresser l’art du vrai, du réel, de l’utile et


    me rappelle pas le nom de l’auteur ; mais la proposition elle-même est restée dans ma mémoire comme offrant sur ce point, sinon la vérité même, du moins une esquisse de la vérité. » M. Grant Allen, dans son Esthétique physiologique, a déduit de cette notion fondamentale une théorie de l’art ; en même temps, il a tenté d’expliquer par la « sélection sexuelle, » où le plaisir du beau a un si grand rôle, le développement de nos sens esthétiques, principalement du sens de la couleur. M. James Sully, dans son important ouvrage sur la Sensation et l’Intuition, a également appliqué aux arts la théorie de l’évolution universelle.

  1. Suivant M. Renouvier et l’école criticiste, l’imagination poétique est de nos jours dans un état d’infériorité parce qu’elle se prend et qu’on la prend « trop au sérieux ; » elle n’ose s’étendre librement, de peur de la raison ; il faut, au contraire, qu’elle se joue en pleine liberté et « abandonne toute prétention directe sur le vrai et sur l’utile. » Alors seulement la poésie et l’art en général « arrivera à son plein affranchissement. » La première condition de toute œuvre d’art, c’est le désintéressement du vrai et de l’utile, « parce que ni l’utilité ni la vérité n’en doivent être les objets propres et directs, mais seulement l’émotion et la beauté. » (Critique philosophique, 4e année, I, 304.) — Nous aurons à rechercher précisément s’il peut y avoir une vive émotion esthétique en dehors de toute vérité, de toute réalité, et même de toute utilité.