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savants cherchent à nous satisfaire, à répondre à nos interrogations : le poète nous charme par l’interrogation même et quelquefois, comme le musicien, préfère nous laisser sur la note sensible, dans je ne sais quelle attente anxieuse, plutôt que de contenter entièrement l’oreille et l’esprit. Le célèbre monologue d’Hamlet ne fait que poser un problème insoluble pour la science ; une des belles pièces des Contemplations sur le sort de notre globe et de l’humanité a pour titre un simple point d’interrogation. Y a-t-il des découvertes qui n’aboutissent pas à de nouveaux mystères, et qui ne favorisent ainsi l’essor toujours plus large de l’imagination ? La science, qui commence par l’étonnement, finit aussi par l’étonnement, dit Colericlge, et c’est de l’étonnement que naît la poésie comme la philosophie. Il y aura donc dans la science humaine une suggestion éternelle, conséquemment une poésie éternelle.

Bien plus, le « besoin de mystère et d’inconnu » qu’éprouve l’imagination humaine, si on l’analyse jusqu’au bout, apparaît lui-même comme une forme déguisée du désir de connaître. Nous parlions tout à l’heure du charme propre aux petits chemins, aux bosquets, aux tournants ; mais la principale raison de ce charme, c’est qu’ils nous permettent de faire des découvertes à chaque pas, c’est qu’ils tiennent en haleine la perpétuelle curiosité de l’esprit ; leur poésie ne vient pas uniquement de ce qu’ils nous ferment l’horizon, mais plutôt de ce qu’ils nous en promettent sans cesse un nouveau. De même, si on peut dire que la pudeur est la poésie de l’amour, on dira, avec non moins de raison, que c’est l’amour qui fait la poésie