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ÉPICURE

phes croyant plus ou moins au destin, avait cru plus ou moins à la prescience et à la divination. Les Stoïciens surtout l’admettaient formellement ; dans leur pensée, toutes choses se liant, se tenant et conspirant ensemble, il devait être possible pour l’âme inspirée d’apercevoir dans les choses présentes les choses futures, de lire l’avenir dans le moindre événement, dans le plus insignifiant en apparence. Mais si on ôte à la fois du monde le nécessaire et le divin, la divination, cette croyance sur laquelle reposait en partie la vie antique, disparaît du même coup. On connaît le passage du De natura deorum où l’épicurien Velléius raille les Stoïciens de leur triple foi à la providence, la fatalité et la divination : « S’il y a dans le monde un dieu qui le gouverne, qui préside au cours des astres et aux saisons, qui conserve l’ordre et les changements réguliers des choses, qui ait l’œil sur la terre et sur les mers, qui protège la vie et les intérêts des hommes, de quelles tristes et pénibles affaires le voilà embarrassé ! Comme les poètes tragiques, lorsque vous ne pouvez dénouer votre pièce, vous avez recours à un dieu... Ainsi vous nous mettez sur la tête un maître éternel, dont nous devrions jour et nuit avoir peur. Car comment ne pas craindre un dieu qui prévoit tout, qui pense à tout, qui remarque tout, qui croit que tout le regarde, dieu curieux et affairé. De là d’abord votre necessité fatale, que vous appelez εἱμαρμένη. Ce qui arrive, vous le prétendez découle de la vérité éternelle et de l’enchaînement continu des causes : quel prix attacher à une philosophie qui, comme les vieilles femmes, et les plus ignorantes, croit que tout se fait par le destin ? Vient ensuite votre μαντική, que les Latins appellent divination. A vous en croire, nous deviendrions superstitieux jusqu’à révérer les aruspices, les augures, les devins, tous les oracles, tous les prophètes. Pour nous, exempts de toutes ces terreurs et mis en liberté par Epicure, nous ne craignons point les dieux[1]... »

Après avoir tenté de détruire le déterminisme physique et logique, Epicure ne s’arrête pas dans cette voie, il s’attaque à ce qu’on pourrait appeler le déterminisme moral, je veux dire cette doctrine qui nie la responsabilité et considère comme menteurs l’éloge ou le blâme.

  1. Cicér., De nat. deor., I, 20.